Un employeur peut-il licencier un salarié amené à conduire dans son travail si son permis a été suspendu ou annulé ?
La convention collective des chauffeurs routiers, par exemple, aborde les conséquences de la suspension du permis sur le contrat de travail. En effet, pour certains emplois (ambulancier, chauffeur routier, etc), la perte du permis de conduire équivaut à la perte de l’emploi puisque le permis est un élément contractuel pour que le salarié assure son activité professionnelle. Quant à la jurisprudence récente de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat, elle a effectué un revirement à propos des incidences du retrait du permis de conduire sur le contrat de travail, du licenciement éventuel d’un salarié au motif que son permis de conduire est suspendu.
Jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat
Suspension du permis de conduire dans la convention collective des chauffeurs routiers
Jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat
Si la perte de points a lieu durant le temps de travail, la jurisprudence de la Cour de cassation est sans équivoque :
« dès lors que le permis est un élément contractuel nécessaire à la prestation de travail, un retrait intervenant pendant le temps de travail peut justifier un licenciement ».
Un employeur peut licencier un salarié qui n’a plus de permis en cours de validité à deux conditions :
- que l’emploi du salarié requiert un permis de conduire
- et que son contrat de travail précise expressément que le permis de conduire est indispensables.
Lorsque le permis de conduire est nécessaire pour assurer le travail, il doit être noté dans le contrat de travail.
Le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l’exercice de ses fonctions, de commettre une infraction routière dans le cadre de sa vie personnelle qui entraîne la suspension ou le retrait du permis ne peut motiver un licenciement disciplinaire ( licenciement pour faute grave), tout au plus il peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Ce point a été rappelé par un arrêt du 3 mai 2011 de la Cour de cassation, n° 09-67464.
Un arrêt du 23 juin2009 avait déjà affirmé qu’un fait de la vie personnelle ne peut justifier un licenciement pour faute n° 07-45256.
Le Conseil d’Etat a jugé de même le 15 décembre 2010, n° 316856, à propos du licenciement d’un salarié protégé dont le permis de conduire avait été suspendu en raison d’une infraction routière commis dans sa vie privée :
« Le fait, pour un salarié recruté sur un emploi de chauffeur, de commettre, dans le cadre de sa vie privée, une infraction de nature à entraîner la suspension de son permis de conduire, ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations contractuelles à l’égard de son employeur et ne peut justifier légalement un licenciement pour faute. »
A la différence de la Cour de cassation, le Conseil d’Etat considère que la suspension du permis de conduire du salarié intervenu dans le cadre de sa vie privée est étrangère à la vie professionnelle et a donc annulé dans ce cas l’autorisation de licenciement disciplinaire délivrée à l’employeur.
Le Conseil d’Etat rappelle néanmoins que des faits commis par un salarié protégé en dehors de l’exécution de son contrat de travail peuvent justifier son licenciement s’ils ont provoqué un trouble dans l’entreprise.
Dans le cas présenté, l’employeur aurait pu demander à l’inspecteur du travail l’autorisation de licencier le salarié protégé non pas pour faute mais au motif que le chauffeur en question était dans l’impossibilité d’accomplir le travail pour lequel il avait été engagé. Dans ce cas, le salarié serait resté à l’effectif de l’entreprise et aurait été payé jusqu’à ce que l’inspecteur du travail délivre l’autorisation de licencier..
Chacun a droit au respect de sa vie privée. Par conséquent un employeur ne peut procéder au licenciement d’un salarié, pour cause tirée de sa vie privée, seulement si celui-ci a créé un trouble objectif au sein de l’entreprise, comme l’a rappelé l’arrêt 08-41837 de la Cour de cassation du 16 septembre 2009.
Par contre, si la conduite de véhicule n’est pas noté dans le contrat de travail et que l’employeur licencie ce salarié qui n’a plus de permis alors que la conduite d’un véhicule ne constitue pas un élément de son contrat de travail, alors le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2011, n°pourvoi 09-43192
Suspension du permis de conduire dans la convention collective des chauffeurs routiers
L’accord du 13 novembre 1992 de la convention collective des chauffeurs routiers porte diverses mesures sociales d’accompagnement des dispositions relatives au permis à point et traite des conséquences de la suspension ou de l’invalidation du permis de conduire sur le contrat de travail.
Cet accord apporte de nombreuses précisions.
- La suspension ou l’invalidation du permis de conduire n’entraînent pas,la rupture automatique du contrat de travail du conducteur. Le salarié doit informer son employeur dès que la mesure lui est notifiée ( les points ne sont retirés que lors de la condamnation définitive, le conducteur est alors averti du retrait effectif des points par courrier simple).
- Une concertation doit s’engager entre l’employeur et le conducteur : il peut se faire assister par une personne de l’entreprise. L’employeur doit informer le Comité d’établissement ou les délégués du personnel de cette situation.
- A l’issue de cette concertation, si un reclassement est disponible, il est aussitôt proposé au chauffeur. Le reclassement doit se faire dans une zone géographique compatible avec le domicile et à un poste aussi comparable que possible à l’emploi de conducteur, tant au regard du niveau de qualification que du salaire.
L’employeur doit faire les propositions de reclassement par écrit et le salarié doit répondre dans les 7 jours qui suivent la réception de la lettre. - En cas de refus du reclassement de la part du salarié, l’employeur peut procéder au licenciement.
- Le chauffeur peut aussi poser des congés, prendre ses repos compensateurs si la suspension est de courte durée.
- En l’absence de possibilité de reclassement, le contrat de travail est suspendu ( durée à préciser) ou rompu
- Pendant la période de suspension du contrat de travail, le conducteur a la possibilité de suivre une action de formation selon les modalités et conditions fixées par les partenaires sociaux dans le cadre du fonds spécial professionnel » permis sécurité » créé sous l’égide de la Commission nationale paritaire professionnelle de l’emploi et de la formation professionnelle (CNPE), dans la limite des fonds qui lui seront affectés.
- Lorsque l’employeur n’a pas de reclassement à proposer, le conducteur peut demander à l’employeur d’informer les antennes régionales (spécialisées » transports » ou non) de Pôle emploi et la CNPE de la situation dans laquelle il se trouve (pour qu’on, l’aide à retrouver un travail dans son bassin d’emploi.
- A l’issue de la période de suspension du contrat de travail convenue entre les parties,
le conducteur reprend ses activités dans l’entreprise, à condition, d’avoir retrouvé un permis de conduire valide et d’informer l’employeur 15 jours avant la reprise effective de sa reprise. Sinon, l’employeur peut prononcer le licenciement. - En cas de désaccord sur la suspension du contrat de travail ou le reclassement,
l’employeur peut licencier le chauffeur qui percevra alors les indemnités de licenciement conformément aux dispositions légales ou conventionnelles, à l’exclusion de toute indemnité compensatrice de préavis dans la mesure où le conducteur se trouve dans l’impossibilité d’exercer ses activités professionnelles pendant cette période. - Les dispositions du présent article ne sont pas applicables en cas de suspension ou de retrait du permis de conduire pour inaptitude physique à la conduite.
- Dans ce cas, il s’agira d’un licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, comme l’a précisé l’arrêt n°08-42304 de la Cour de cassation
Par conséquent, la suspension ou le retrait du permis de conduire en dehors du temps de travail ne peut jamais entraîner une sanction disciplinaire, par exemple un licenciement pour faute, y compris si le salarié occupe un poste de travail au sein de l’entreprise qui rend obligatoire la conduite d’un véhicule.
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